Suicide en lien potentiel avec le travail : des chiffres sous-évalués
Selon le Ministère de la Santé et de la Prévention, le suicide représente en France environ 10 000 décès et 200 000 tentatives de suicide par an, soit près de 28 décès par jour. La France reste l’un des pays avec le taux de suicide le plus élevé d’Europe avec 13,4 suicides pour 100 000 habitants, alors que la moyenne européenne se situe autour de 10,2 pour 100 000 habitants selon les chiffres d’Eurostat publiés en 2020.
Concernant les suicides en lien avec le travail, l’Assurance maladie enregistre 37 suicides-accidents dans son rapport annuel des accidents du travail en 2022. Ce chiffre stable représente 5% du total des accidents du travail mortels. Cependant, le bilan annuel de la Sécurité Sociale n’inclut pas la survenue de tels accidents parmi les salariés de la fonction publique. Une étude épidémiologique réalisée par Santé publique France et publiée en 2021, estime qu’environ un suicide sur dix est en lien potentiel avec le travail.
Des secteurs d’activités et des profils plus touchés
Toujours selon cette étude menée par Santé publique France, des profils de salariés et des secteurs d’activité semblent être plus particulièrement touchés. Parmi eux, les hommes représentent 75% des suicides en lien potentiel avec le travail ainsi que les personnes âgées de 45 à 54 ans qui constituent la tranche d’âge la plus concernée avec 37,4% des cas.
D’autres enseignements émergent à travers cette étude. Les secteurs d’activité les plus concernés sont l’administration publique, le commerce, la réparation d’automobiles, la santé humaine et l’action sociale, et le secteur des arts et spectacles.
Comment définit-on le suicide en lien potentiel avec le travail ?
Santé publique France définit le suicide en lien potentiel avec le travail comme tout suicide présentant au moins une des situations suivantes :
- Le décès survient sur le lieu du travail, pendant et en dehors des horaires de travail ;
- Le salarié victime a rédigé une lettre mettant en cause ses conditions de travail dans son acte suicidaire ;
- La victime porte sa tenue de travail alors qu’elle ne travaillait pas ;
- Le témoignage d’un proche ou d’un témoin mettant en cause les conditions de travail de la victime ;
- Des difficultés connues liées au travail comme la perte d’un emploi, un conflit avec ses collègues ou sa hiérarchie, un contexte d’épuisement professionnel, des difficultés connues dans l’entreprise…
Les facteurs de risque
Les risques psycho-sociaux
Une enquête de la Dares sur les conditions de travail montre que certaines situations rencontrées en milieu professionnel constituent des facteurs de risque et favorisent ainsi les pensées suicidaires. Les principales causes répertoriées par cette enquête font partie des risques psycho-sociaux comme une trop grande charge de travail, le manque de reconnaissance, le harcèlement moral ou sexuel, des violences internes…
Cependant, une tentative de suicide ou un suicide est souvent le résultat d’un ensemble complexe qui peut avoir comme source le travail mais aussi des problématiques personnelles (séparation, deuil, maladies psychiques, violence familiale…). L’employeur doit prendre ses responsabilités si les conditions de travail sont suspectées ou si le suicide correspond à la description faite précédemment sur le suicide en lien potentiel avec le travail.
Reconnaître et prendre en charge la conduite suicidaire
Une souffrance difficile à exprimer
La crise suicidaire est le moment où le risque de passer à l’acte est élevé car la personne se retrouve dans une impasse et envisage le suicide comme la seule solution possible à ses problèmes. En amont de cette phase, le salarié peut développer des idées noires ou suicidaires qui traduisent son désir de mort. Cependant, la conduite suicidaire n’est pas toujours facile à détecter par l’entourage professionnel car le salarié peut avoir beaucoup de mal à communiquer sa souffrance. Il peut également avoir tendance à cacher ses pensées par gêne ou crainte d’exposer ses faiblesses à son employeur et de perdre son emploi. C’est pour cette raison que la demande d’aide n’est pas toujours simple à identifier par les collègues ou les managers.
Les signaux qui doivent alerter
Des signes qui montrent une rupture dans le comportement habituel doivent alerter l’entourage professionnel comme de nombreux arrêts de travail, des conflits inhabituels avec le management ou les autres membres de l’équipe, un manque d’intérêt pour ses missions ou encore des signes physiques comme une grande perte de poids, etc.
Comment intervenir ?
Les réflexes d’urgence pour faire face à une tentative de suicide ou un suicide
Si le passage à l’acte s’est produit sur le lieu de travail, il est primordial d’alerter immédiatement les secours en composant le 15, le 18 ou le 112. L’employeur doit porter secours à la victime mais également protéger les témoins de la scène qui se retrouvent en état de choc traumatique. Ces derniers ne doivent pas se retrouver seuls et doivent être pris en charge également par les secours. La victime (en cas de tentative) ou son corps (en cas de décès) doit être isolé du regard des autres jusqu’à l’arrivée des secours. L’employeur doit également prévenir les proches de la victime et informer le plus rapidement possible les collègues directement concernés par le décès du collaborateur.
Protéger et soutenir les collaborateurs
Très rapidement après le décès ou la tentative de suicide, une cellule psychologique peut être mise en place pour que les témoins, les proches collaborateurs ou ceux qui en ressentent le besoin puissent s’exprimer soit de manière collective ou individuelle.
Communiquer avec transparence
Enfin, l’employeur doit s’adresser à l’ensemble des collaborateurs avec une communication interne forte qui prend la mesure de la gravité de la situation. Lorsque des motifs professionnels ont conduit à un tel acte, l’employeur doit assumer sa part de responsabilité et expliquer qu’il va investiguer les causes professionnelles. Cela permet d’envoyer un signal fort aux autres salariés qui peuvent se sentir en insécurité ou craindre que d’autres actes se produisent.
Comprendre les causes de l’acte suicidaire
Une enquête peut avoir lieu suite au suicide ou à la tentative de suicide du salarié. Elle peut être menée par la police, l’inspection du travail et l’Assurance Maladie pour comprendre si les causes sont professionnelles et donner des suites juridiques si celles-ci sont avérées.
L’employeur doit également mener une enquête approfondie sur les causes doit être menée afin de mettre en place toutes les dispositions nécessaires afin qu’un tel acte ne se reproduise plus.
Éviter et prévenir la crise suicidaire au travail
Rappelons que l’employeur a l’obligation générale d’assurer la sécurité et de protéger la santé physique et mentale des salariés (article L. 4121-1 du Code du travail) en évaluant les risques, y compris psychosociaux, et de prendre toutes les mesures nécessaires. Voici des pistes pour agir et éviter les risques suicidaires liés au travail.
L’employeur doit également mener une enquête approfondie sur les causes doit être menée afin de mettre en place toutes les dispositions nécessaires afin qu’un tel acte ne se reproduise plus.
Agir en cas de doutes
En cas de suspicion d’une conduite suicidaire chez un collaborateur, les managers doivent alerter les RH au plus tôt ou les référents sur les risques psychosociaux qui pourront intervenir ou faire le lien avec la médecine du travail. L’entreprise peut également se tourner vers le 3114 qui est le numéro national de prévention du suicide disponible 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Le site de cet organisme fournit non seulement de l’aide aux personnes en souffrance mais aussi des outils pour venir en aide à une personne ayant une conduite suicidaire.
L’employeur doit également mener une enquête approfondie sur les causes doit être menée afin de mettre en place toutes les dispositions nécessaires afin qu’un tel acte ne se reproduise plus.
Prévenir les risques psychosociaux
Comme nous l’avons vu précédemment, l’acte suicidaire doit faire l’objet d’une enquête afin de comprendre l’ensemble des dysfonctionnements d’ordre professionnel qui ont pu aboutir à un tel acte. Les résultats de cette enquête sont clés afin d’établir un plan de prévention qui soit pleinement adapté à l’entreprise. Bien entendu, les entreprises ne doivent pas attendre qu’un drame se produise pour agir. Pour rappel, les employeurs ont l’obligation d’évaluer les risques professionnels (physiques et psychosociaux) auxquels leurs employés sont potentiellement exposés et de les répertorier dans un document appelé document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP). Ce document doit être mis à jour tous les ans. La prévention des risques est propre à chaque organisation et dépend étroitement de son activité, des profils et des métiers présents, de l’organisation du travail et de la culture managériale.
Cette démarche doit inclure les différentes parties-prenantes de l’entreprise en incluant les représentants du personnel, les services de prévention santé au travail comme la médecine du travail mais aussi les salariés. L’objectif de cette évaluation est de mettre en place des actions de prévention comme :
- Lutter contre le harcèlement ou les incivilités (internes ou externes) ;
- Mieux gérer la charge de travail ;
- Lutter contre le management toxique ;
- Faire preuve de plus de reconnaissance dans le travail ;
- Donner plus d’autonomie aux collaborateurs ;
- Apporter plus de sens au travail ;
- Mieux accompagner les publics fragiles dans l’entreprise comme les aidants.
Former les collaborateurs en matière de santé mentale
Aujourd’hui, des formations se développent pour répondre aux enjeux de santé mentale dans les entreprises. Faire la pédagogie de la santé mentale auprès de tous les salariés est nécessaire pour les aider à mieux comprendre le sujet. Ils bénéficient ainsi de repères concrets sur les troubles les plus fréquents et apprennent à mieux connaître les situations à risque. Ces formations permettent à chacun de reconnaître les symptômes d’une santé mentale qui se dégrade pour soi-même comme chez les autres. Ils peuvent ainsi mettre en place les bons réflexes pour prendre soin de leur santé mentale et agir en cas d’apparition de troubles.
Identifier et former des acteurs relais dans l’entreprise
Des formations spécifiques comme le PSSM (Premiers Secours en Santé Mentale) existent pour aller un cran plus loin dans la sensibilisation des collaborateurs sur la santé mentale. Le PSSM s’inscrit dans une démarche citoyenne et sur la base du volontariat. Cette formation permet d’acquérir une méthode pour apporter un premier niveau d’aide à une personne en crise ou en difficulté jusqu’à ce qu’une aide professionnelle prenne le relais si besoin. Il s’agit d’un outil complémentaire qui aide à faire la pédagogie du sujet en interne et permet aux collaborateurs qui le souhaitent, de s’investir. Le PSSM doit s’insérer dans un dispositif plus global de prévention de la santé mentale où l’employeur a mis en place toutes les actions nécessaires comme nous l’avons vu précédemment.
Afin que ces actions menées soient efficaces dans le temps, les entreprises doivent les suivre en réalisant régulièrement des enquêtes internes afin de mesurer les résultats et adapter les actions si besoin.
Prévenir la crise suicidaire en lien avec le travail doit être un élément à prendre en compte dans la gestion des risques psychosociaux. Elle peut également être incluse dans les programmes de prévention de la santé mentale qui est un enjeu majeur pour les entreprises aujourd’hui. VerbaTeam est un acteur engagé dans ce domaine en guidant les entreprises dans leur démarche de prévention et de sensibilisation. Contactez nos experts pour en savoir plus.