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Congés illimités, « tracances »… ces nouveaux modes de travail sont-ils compatibles avec le bien-être des salariés ?

5 min - 22/11/2023

Bonne idée pour le bien-être des collaborateurs ou, au contraire, piège pour leur équilibre de vie ? Après la semaine de 4 jours, le phénomène des congés illimités se développe doucement, laissant dubitatifs certains experts. Mais quelles sont les conséquences sur la motivation, le bien-être au travail et, plus spécifiquement, la santé au travail ? Car à trop vouloir libérer le travail et à offrir de la flexibilité, ne risque-t-on pas, au contraire, d’effacer totalement la frontière entre vie professionnelle et personnelle avec des conséquences négatives sur le bien-être et la santé des collaborateurs ? Faisons le point dans cet article.

Que sont les congés illimités et les tracances ? 

  

Les congés illimités permettent aux salariés de prendre autant de congés payés qu’ils le souhaitent, sans restriction, tant qu’ils réalisent les missions qui leur sont demandées.  

Les tracances, un néologisme résultant de la contraction de « travail » et « vacances », incitent les salariés à mêler les deux et à ne plus avoir de véritable frontière entre leur vie professionnelle et leur vie personnelle. Autrement dit, à travailler même en vacances, et seulement s’ils en ont envie, ou d’utiliser leur temps de travail de manière flexible, où qu’ils se trouvent.  

Selon le cabinet Génie des Lieux, qui a mené une étude auprès de plus de 3 400 salariés français en 2022, 35% des travailleurs sont adeptes du télétravail sur leur lieu de vacances. Et d’après une enquête VVF, 33% des 18-35 ans seraient prêts à tenter l’expérience.  

Ces approches émergentes se sont d’abord répandues aux Etats-Unis dans l’univers de la tech où il est commun de travailler projet après projet. Il est donc plus simple, entre ces périodes de travail intensif, de prendre des vacances ou bien de travailler à distance depuis son lieu de vacances. Dans tous les cas, elles ont pour objectif de favoriser l’autonomie, la flexibilité et le bien-être au travail.  Mais pour certains spécialistes, comme les juristes, ces nouvelles formes de travail ont surtout un risque : ne plus poser de limites entre travail et repos, avec des conséquences, notamment sur la santé.  

 

À quels besoins répondent ces nouvelles modalités de travail ? 

 

Leur essor peut être attribué à plusieurs facteurs :  

Tout d’abord, ces initiatives répondent à une demande croissante de flexibilité, d’autonomie et de confiance de la part des employés, en particulier des jeunes générations. N’oublions pas aussi qu’il s’agit d’un véritable mouvement de fond initié depuis la crise du Covid : le télétravail est devenu un critère majeur dans le choix d’une entreprise. Par rapport à l’avant crise sanitaire, 5 fois de plus d’annonces d’emploi mentionnent le télétravail. Ainsi, la flexibilité à travers des congés illimités, les tracances ou la semaine de 4 jours, arrivent comme une évolution naturelle. 

Selon Gallup en 2023, les jeunes professionnels d’aujourd’hui sont d’ailleurs plus exigeants et attachent une grande importance à l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée. Ils recherchent des entreprises dont les valeurs correspondent aux leurs, proposent des opportunités d’évolution professionnelle et valorisent leur potentiel.  

Quand le mode de travail ne répond pas à leurs attentes, cela se traduit par un fort désengagement : toujours selon Gallup, en 2023, seulement 7% des salariés français sont engagés au travail. Il est néanmoins intéressant d’y voir une progression de 1 point par rapport à l’année dernière, signe que les entreprises agissent.  

S’ajoutent cependant à cela d’importantes difficultés de recrutement : d’après une étude de Pôle Emploi en 2023, 85% des employeurs sont concernés. Parmi eux, 37% admettent que les conditions de travail ne sont pas favorables, et 23% pensent qu’elles font face à un déficit d’image.  

Tout cela incite les entreprises à repenser leurs politiques de recrutement et de promotion. Selon un rapport Deloitte en 2022 intitulé “Turbulences dans la relation employeur-travailleurs”, les dirigeants ont d’ailleurs compris à 68% que, pour engager, répondre aux besoins individuels était une stratégie incontournable.  

À cet égard, les congés illimités et les pratiques de travail flexibles sont perçus comme des avantages attractifs qui peuvent jouer un rôle déterminant dans la décision des jeunes professionnels de rejoindre une entreprise et d’y rester fidèles.  

 

Les conséquences de ces nouveaux modes de travail 

  

Impact sur la productivité  

L’introduction des congés illimités et des « tracances » dans le milieu professionnel peut engendrer des résultats contrastés en ce qui concerne la productivité.  

D’un côté, l’autonomie et la flexibilité offertes par ces pratiques stimulent chez certains la créativité et le bien-être, ce qui peut se traduire par une augmentation de la productivité. Des collaborateurs trouvent ainsi qu’ils sont plus efficaces lorsqu’ils sont autorisés à gérer leur emploi du temps selon leurs préférences.  

S’agissant des vacances illimitées, les salariés concernés ne prennent souvent que “2 à 5 jours de congés en plus que la moyenne” selon le psychologue du travail Jean-Christophe Villette cité par Ouest France.   

 

Effets sur la santé mentale  

D’un côté, ces dispositifs donnent aux salariés la possibilité de réduire le stress en leur permettant de prendre du temps pour se ressourcer. D’un autre côté, si elles sont mal gérées, ces pratiques génèrent un surmenage, un sentiment de pression constante, jusqu’au burn-out.   

 

Équité et inégalités  

Les congés illimités et les « tracances » risquent aussi de creuser les inégalités entre les collaborateurs. Par exemple, certains salariés à des postes avec des obligations horaires strictes ou qui sont en contact direct avec le public – qui n’ont déjà pas accès au télétravail – peuvent se sentir exclus de ces avantages. Il est donc fondamental pour les entreprises de mettre en place des politiques qui garantissent un accès équitable à ces nouvelles pratiques, quel que soit le poste. 

 

Et le droit du travail dans tout cela ? 

La mise en œuvre de congés illimités ne doit pas faire l’économie du respect des lois sur les congés payés, le temps de travail et les autres réglementations comme la déconnexion.  

Rappelons que l’employeur a l’obligation de prendre les mesures adaptées pour que les salariés bénéficient d’un droit de repos. Il n’a pas le droit d’encourager et encore moins d’obliger ses salariés à travailler pendant leurs congés.   

  

Pourquoi ces dispositifs sont-ils à double tranchant ? 

 

Une différenciation de traitement entre les “cols blancs” et les “cols bleus” 

Ces nouvelles tendances et les attentes qui les accompagnent émergent surtout des travailleurs « cols blancs » qui ont avant tout besoin d’un poste informatique, mettant parfois à l’écart les travailleurs « cols bleus » à la production, la maintenance ou au contact des clients par exemple. Au sein d’entreprises regroupant ces deux types de travailleurs, des inégalités de traitement peuvent engendrer des sentiments de jalousie et de frustration. Cette division peut créer des tensions au sein de l’entreprise et remettre en question l’équité des politiques de ressources humaines.  

Par conséquent, il est fondamental de prendre en compte ces disparités et de trouver des solutions flexibles adaptées à chaque typologie de salarié. Et cela, pour garantir que de nouvelles pratiques bénéficient à tous, quel que soit leur domaine d’activité, afin de promouvoir une culture du travail plus inclusive et égalitaire. 

  

Congés illimités et culpabilité 

Les congés illimités et les tracances ont l’air, a priori, d’être une aubaine pour les collaborateurs en quête d’un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle. C’est pourtant loin d’être acquis. 

L’un des principaux problèmes des congés illimités réside dans la culpabilité qu’ils peuvent engendrer. Ainsi, les salariés qui ont la possibilité de prendre des congés sans limite peuvent ressentir une certaine pression, de peur d’en abuser, de paraître paresseux ou de laisser tomber leurs collègues.   

Cette culpabilité peut être encore plus prononcée si la culture de l’entreprise n’encourage pas ouvertement l’utilisation de ces congés. Il peut donc en résulter un paradoxe où les salariés ont la liberté de prendre des congés, mais ne le font pas par crainte de paraître irresponsables ou détachés de leurs missions. 

De plus, les tracances, bien que visant la flexibilité, peuvent mener à une surcharge de travail. Les salariés qui travaillent à tout moment, n’importe où, risquent surtout de ne jamais vraiment déconnecter. Cette constante disponibilité nuit à leur bien-être, entraînant avec elle un stress accru, des difficultés à établir des limites claires entre le travail et la vie personnelle, et finalement, des problèmes de santé. 

  

Mais utiles en certaines circonstances 

Cependant, les congés illimités et les tracances ne sont pas nécessairement de mauvaises idées. Leur succès dépend en grande partie de la manière dont ils sont mis en œuvre et intégrés dans la culture de l’entreprise. Il est notamment nécessaire que le cadre soit clair et bien défini et que les collaborateurs disposent des outils et ressources pour travailler efficacement à distance.  

Les entreprises qui encouragent leurs salariés à prendre des congés quand ils en éprouvent le besoin – après une grosse charge de travail, pour avoir plus de temps pour s’occuper d’un proche – et à pratiquer les tracances peuvent en faire des outils intéressants pour améliorer le bien-être au travail.  

 

Ainsi, l’aménagement du temps de travail est pertinent en particulier pour les familles monoparentales et les aidants.  

  • Rappelons que 11 millions de Français sont aidants et, parmi eux, 23% des salariés apportent de l’aide à un proche au moins 1 fois par semaine selon une étude AXA. Parmi eux, 79% affirment que le télétravail facilite la gestion de leur emploi du temps. Parmi les mesures perçues comme les plus essentielles par les salariés aidants en entreprise, avoir des “horaires de travail plus flexibles” arrive en 1ère position pour les répondants (43%). 
  • Quant aux parents célibataires, ils concernent 1 famille sur 4 d’après les données de l’INSEE, et 84% sont des femmes selon une proposition de loi au Sénat en 2021. Comme le préconise l’Observatoire de la Qualité de Vie au Travail, parmi les leviers qui permettent d’accompagner la monoparentalité : une organisation du travail et des services qui facilitent la vie quotidienne, notamment à travers des horaires aménagés et le télétravail. 

Une question se pose aujourd’hui : ces pratiques pourraient-elles devenir la norme à mesure que les entreprises cherchent à attirer et à fidéliser les salariés, notamment les nouvelles générations ?  

Ou, au contraire, les entreprises pourraient-elles revenir à des modèles de travail plus traditionnels à la suite de conséquences négatives sur la santé des salariés et la productivité ? 

  

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