Des accidents du travail à la santé mentale : retour sur l’évolution de la prévention santé en entreprise
Lorsque l’on parle de santé au travail, il est intéressant de remonter le fil de l’histoire. À l’origine, c’est le secteur qui a connu le plus d’accidents du travail qui a fait bouger les lignes : l’industrie. Elle s’est ainsi imposée comme un acteur historique de la prévention, notamment quant aux risques de maladies professionnelles.
Un autre sujet majeur a fait bouger les lignes de la prévention santé en entreprise : les troubles musculosquelettiques (TMS). Depuis 2003, ils ont augmenté de 60 %. En 2015, les TMS ont représenté plus de 87 % des maladies professionnelles ayant entraîné un arrêt de travail ou une réparation financière en raison de séquelles. Le mal de dos compte à lui seul pour 20 % des accidents du travail (Source : Ameli). La lutte contre les TMS est ainsi devenue un sujet majeur de prévention santé dans les entreprises.
Petit à petit, le sujet de la prévention est aussi devenu central dans des entreprises moins exposées a priori, comme dans le secteur tertiaire également touché par les TMS, mais pas seulement. Dans les années 2000, le « burn out » (épuisement professionnel) a commencé à se manifester, entraînant parfois des drames qui ont défrayé la chronique. La santé mentale s’est alors inscrite comme un axe où il était urgent et important d’agir, quel que soit le métier exercé. L’irruption de la pandémie de COVID a accéléré cette tendance. Rappelons que, selon les chiffres de l’Assurance Maladie, celle-ci a pris en charge, en 2020, 37 % de plus de maladies liées aux troubles psychosociaux par rapport à 2019.
Pourtant, une frontière existe encore entre les grandes entreprises qui ont les moyens et les services adaptés, et les TPE/PME qui ne sont pas toujours armées pour répondre à cet enjeu en dehors de leur obligation légale.
Toutefois, dans toutes les entreprises, la prévention santé devient essentielle afin de fidéliser ses salariés, mais aussi d’attirer les talents qui en attendent beaucoup sur ce sujet, comme une preuve de bonne marque employeur.
Rappel des grandes obligations des employeurs en matière de santé
Pour les entreprises, la prévention santé, c’est d’abord une obligation. Ainsi, l’employeur engage sa responsabilité pénale s’il ne met pas en place les dispositifs suivants [1] :
- Des actions de prévention des risques professionnels : de chutes en hauteur, psychosociaux, chimiques, sur la pénibilité
- Des actions d’information et de formation : pour les nouveaux arrivants, lors d’un changement de poste, pour les intérimaires, lors d’une reprise
- La mise en place d’une organisation et de moyens adaptés (modification des horaires – par exemple lors d’une canicule -, équipements et protections)
Cependant, la prévention santé est devenue bien plus qu’une obligation. Il s’agit également d’une demande forte des salariés. Ces derniers souhaitent que les entreprises prennent soin de leur santé et de leur bien-être, surtout depuis la crise sanitaire. Par ailleurs, les entreprises comprennent de plus en plus que la prévention santé est un formidable levier d’attractivité et de fidélisation des équipes. Ajoutons aussi que, depuis la crise de la COVID-19, les entreprises ont pleinement retrouvé leur place de territoires de santé.
Deux évolutions récentes de la loi montrent le renforcement du rôle des entreprises dans ce domaine :
- La loi santé de 2021 entrée en vigueur en 2022 vient renforcer le rôle des entreprises en matière de prévention santé et s’adapte aux nouveaux risques. Elle donne une nouvelle définition du harcèlement sexuel dans le Code du travail, renforce le suivi de la santé des salariés et de la prévention au sein des entreprises, augmente la durée de formation des élus du personnel…
- La QVT est devenue, par le biais de la loi Santé 2022, la QVCT (Qualité de Vie et des Conditions de Travail) pour prendre en compte les enjeux quotidiens, tout en renforçant le rôle de l’entreprise dans la prévention santé.
Qui sont les acteurs de la santé en entreprise aujourd’hui ?
La prévention et la sécurité concernent aussi d’autres acteurs à l’intérieur de l’entreprise : en premier lieu, la direction générale qui doit soutenir la démarche, puis les managers, la direction des ressources humaines, les représentants du personnel, et le comité social et économique.
À l’extérieur, l’entreprise doit se rapprocher de partenaires classiques et institutionnels :
- La médecine du travail : mais qui souffre d’un manque de praticiens, obligeant les entreprises à avoir une plus grande part dans la prévention et le suivi, comme le montre la nouvelle loi Santé de 2022. Celle-ci augmente son rôle, principalement sur :
– les axes de prévention,
– les actions sur la désinsertion professionnelle,
– ou encore le suivi individuel des salariés - Les services prévention des caisses d’assurance retraite et de la santé au travail
- Le réseau régional de l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (ANACT)
- L’Institut national de recherche et de sécurité pour la sécurité des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS).
La santé au quotidien comme nouvel axe de collaboration
La santé au travail est aujourd’hui un sujet transversal pour de nombreux services et concerne l’ensemble du cycle de vie des salariés. De plus, face aux évolutions profondes sur le plan sociétal et démographique, l’entreprise doit s’engager.
Citons par exemple :
- Le nécessaire maintien dans l’emploi des salariés le plus longtemps possible, alors qu’il est aujourd’hui à seulement 56,1 % pour les seniors selon la DARES
- La place de plus en plus importante accordée aux aidants qui sont par ailleurs en activité
- Une quête de sens qui pousse les nouvelles générations à quitter une entreprise qui ne prendrait pas soin de leur santé
Pour répondre à ces enjeux, les entreprises doivent permettre à leurs collaborateurs de rester en bonne santé, de s’épanouir dans leur fonction et ainsi d’éviter la désinsertion. Tout cela nécessite un effort commun et une cohésion vers des objectifs clairs.
Dans les grandes entreprises, des groupes de travail se mettent en place en ce sens. Cela se traduit notamment par des panels qui regroupent les fonctions RH, la médecine du travail, la Commission santé, sécurité et conditions de travail (CSSCT, au sein du CSE). Lesquels doivent :
- Analyser les données
- Identifier des thématiques porteuses et qui ne dépassent pas la frontière de la vie privée
- Trouver un consensus afin d’élaborer un programme de prévention
Cependant, cette collaboration n’est pas toujours naturelle tant elle demande de faire parler des univers et des points de vue différents. Quand le dialogue social est difficile, il vaut mieux attendre d’avoir aplani les choses avant d’entamer cette nouvelle étape, et ainsi s’assurer de construire un projet cohérent. Sa réussite réside aussi dans l’adhésion des collaborateurs afin qu’ils en deviennent acteurs.
Face à tous les autres sujets qui concernent aujourd’hui l’entreprise, le dialogue demeure indispensable sur la santé. De même, l’accompagnement par des solutions externes est parfois nécessaire pour emporter tout le monde dans un même projet de prévention santé, qui soit solide et pérenne.
[1] Code du travail art 4121-1 et suivants